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Attirées par une mélodie de crooneur dans le tumulte de la ville lilloise, nous rencontrons Ogre, graffeur depuis 20 ans, du Frank Sinatra aux oreilles et une bombe de couleur à la main.


Souriant sous sa barbe de trois jours, Ogre livre son histoire. C’est à l’âge de 16 ans qu’il découvre le graff, dans un élan de curiosité. « Un jour, j’ai vu un mec qui faisait du tag sur un bout de papier. Je lui ai demandé ce que c’était. Il m’a expliqué en quoi consistait le graff, c’était il y a vingt ans », confie-t-il.


Dans son habit noir et avec ses gants en latex encore imbibés de peinture, il narre quelques-unes de ses expériences les plus marquantes : « L’année dernière, j’ai fait une vitrine pour Chanel, un carré de soi en Thaïlande, des graffs pour la coupe du Roi de Polo en Thaïlande. Après c’est un peu au petit bonheur la chance », reconnaît le graffeur. « Aujourd’hui, cela fait deux ans que j’en vis et que j’en survis ».

 

L’artiste opère actuellement une véritable transition dans ses œuvres. L’abstrait y joue un rôle de plus en plus important alors que la calligraphie était jusqu’à maintenant son domaine de prédilection.

 

N’allez cependant pas lui dire que le lettrage n’est pas de l’art : « Pour moi, c’est un art. À partir du moment où tu fais un tag, c’est une forme de calligraphie, dire que ce n’est pas un art c’est se mentir à soi-même », expose-t-il en préparant ses bombes pour l’œuvre qui rythmera sa semaine, une fresque longeant un mur lillois.


Durant les heures passées en sa compagnie, quelques critiques acerbes ont jalonné l’évolution de l’œuvre. Le graff n’est apparemment pas là pour faire consensus. « Faire le choix de travailler dans la rue, c’est prendre le risque de s’exposer aux critiques, c’est aussi ça la liberté d’expression ».

 

Au deuxième jour de travail dans cette rue passante de Lille, les réactions se succèdent. L’employé de la laverie, la voisine aide-soignante, le graffeur amateur, le photographe passant par hasard… Tous s’arrêtent, discutent avec l’artiste, échangent sur l’œuvre, pronostiquent sur le rendu final alors que l’ossature vient d’être posée.


Ogre, imperturbable, continuera son travail, sans ciller sous le vent froid du Nord-Pas-de-Calais.


Son œuvre aux proportions impressionnantes s’inscrit dans le cadre du festival Renaissance Lille 3000, nous explique-t-il alors. Elle met à l’honneur la ville de Detroit. Longtemps fleuron industriel, cette dernière a connu délocalisation sur délocalisation, l’amenant à se vider d’un quart de sa population depuis 2010.

La prédominance du noir et du gris dans cette fresque prend alors tout son sens : Détroit, ancienne ville de la Motown, serait en passe de devenir aujourd’hui une ville fantôme.

 

Pourtant, aucun message politique à lire entre les lignes, seulement le constat d’une ville qui se délabre. « C’est un travail esthétique avant tout. »


Au troisième jour de travail, les premières couleurs apparaissent et les passants applaudissent. Un bleu électrisant sur des formes géométriques, des touches cuivrées couleur brique. Ogre manie l’art de concilier l’austère et le chaleureux dans un équilibre parfait.

Du coté gauche du mur, se dessine au fil des heures une maison, inspirée de l’architecture lilloise et s’inscrivant dans un Detroit post industriel.

 

L’œuvre arrive à sa fin, commence alors l’étape des finitions. Donner du volume à son œuvre, de la profondeur, c’est la partie que le graffeur préfère. Ainsi, bien que travaillant régulièrement avec une crew, être seul aux commandes sur ce projet lui convient parfaitement. « Il fallait une ligne artistique claire », conclut-il.


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Un ogre dans la ville

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Reportage par Eloïse Bartoli